Julie Gayet, ma vessie et moi

Publié le 28 Janvier 2014

Julie Gayet, ma vessie et moi

Elle était mon fantasme absolu. Je l'ai rencontrée au pire moment imaginable. Mais vraiment le pire.

Entre Julie et moi, tout a commencé en cet été 1996. Mon amour inconditionnel pour les Nuls m'avait porté jusqu'à un cinéma des Champs-Élysées pour découvrir Delphine 1 - Yvan 0, le premier film de Dominique Farrugia.

L'idée du film consistait à raconter une histoire d'amour comme on commente un match de football. Mais comme il arrive aux meilleures équipes sur le papier de mal supporter l'épreuve du terrain, le film s'avéra incapable de dépasser son argument de base.

C'est pourtant là que je l'ai rencontrée. Aspirant l'écran avec sa candeur de débutante qu'elle n'était déjà plus, surnageant du haut de ses vingt printemps grâce à un magnétisme évident. Sans doute le seul intérêt de partager l'affiche avec Thierry Rolland et Jean-Michel Larqué : entre ces deux acteurs nés, n'importe quelle dame pipi aurait eu des airs de Meryl Streep. Il n'empêche, la rencontre fut décisive. A chaque nouveau film, je la suivais. De loin : j'ai moi aussi la prétention d'être discret. Parce que c'est pour moi son principal atout. Jamais, malgré l'évidence de son talent, Julie -dans notre intimité fantasmée, nous nous appelons par nos prénoms- n'a renvoyé l'image agressive, prétentieuse, vulgaire de tant de ces comédiennes qui ont mieux fait leur trou, avant de tomber dedans. La sobriété de Julie l'a souvent éloignée des premiers rôles marquants, mais lui a offert une longévité remarquable quand d'autres semblent obsolètes dès leur second film, coupables de trop marquer leur époque.

Mimant Jean Rochefort dans Un éléphant ça trompe énormément, je la suivais pourtant, malhabile, priant pour qu'elle me remarque, craignant qu'elle me repère. Jusqu'à Clara & moi, sans doute le paroxysme de notre relation, et de son magnétisme sexuel. L'amour au temps du sida et de Julien Boisselier. Une rencontre dans le métro comme on en rêve tous les jours, et comme il ne nous en arrive jamais.

Miction impossible

La rencontre n'a pas eu lieu dans le métro. Dix ans après Clara & moi, je me rends dans la salle de projection de Canal+, pour y découvrir le documentaire qu'elle vient de réaliser sur le cinéma au féminin. Ou comment ce milieu longtemps réservé aux hommes s'est progressivement ouvert à la gent féminine, grâce à des femmes réalisatrices qui, pour imposer le respect à leurs équipes, ont souvent accepté de nier leur féminité. L'enquête est fouillée, intéressante... et longue. Trop longue en tous les cas pour ma vessie, prête à exploser alors qu'il reste encore une demi-heure de projection.

Précisons qu'avant toute projection réservée à la presse, il convient de saouler les journaleux pour les mettre dans les meilleures conditions. Écoutant plus ma soif que ma carte de presse, j'ai fait disparaître bien des flutes de champagne dans mon gosier avant la séance. Je paie l'addition de ces verres gratuits pendant la seconde moitié du documentaire : je n'y tiens plus, ma vessie non plus, et la nature m'impose de bousculer mes voisins pour me rendre, ventre à terre et cuisses serrées, jusqu'aux toilettes situées au rez-de-chaussée.

J'arrive en bas de marche... Et c'est là que je la vois. Seule, faisant les cent pas devant le buffet qui attend les spectateurs à leur sortie.

Elle est habillée à la fois simplement et avec classe, comme savent le faire celles dont la beauté nécessite peu d'artifices. Elle est stressée. Elle se ronge les ongles. Elle qui a dû si souvent se confronter à la critique redoute le jugement de la presse sur son talent de réalisatrice. Je croise -enfin- son regard. J'ai envie de pisser, plus que jamais.

Parce qu'aucun mot ne sort de ma bouche, elle engage la conversation, me demandant mon avis sur le film. Je réalise alors qu'elle interprète mon départ avant la fin comme la confirmation de ses doutes sur la qualité de son travail. Dire quelque chose, vite !

- Beuleubeuleubeuleu...

- pardon ?

- Beuleubeu... (me raclant la gorge) euh non c'était vraiment... bien.

- (peu convaincue par mes nombreux arguments) merci c'est gentil !

Pisse & Love

J'ai oublié le reste de notre conversation. Je me souviens en revanche avoir regardé ses lèvres remuer pour moi à mon adresse. Avoir, surtout, senti la goutte de sueur qui coulait de mon front et qui a fait redoubler mon envie d'uriner. M'être attardé sur ses fines rides si touchantes au coin de ses yeux. Avoir croisé les jambes comme jamais. Avoir pensé à la rumeur, qui enflait depuis plusieurs mois et qui allait éclater quelques semaines plus tard, de ses amours présidentielles. M'être demandé : dois-je lui en parler ? La prévenir que si moi, je suis au courant, d'autres journalistes moins amoureux scrupuleux n'hésiteront pas à en faire leurs choux gras ?

Je n'ai pas osé. Je savais pertinemment que si je peinais à trouver mes mots pour lui dire combien j'avais apprécié son documentaire, je peinerais à lui exposer la situation avant qu'elle ne s'offusque de cette intrusion inattendue dans sa vie privée. Et puis, surtout, je n'aurais jamais tenu aussi longtemps dans mon explication sans tremper mon pantalon.

Je suis revenu au sujet qui nous réunissait. Pourquoi ne pas en parler demain, plus tranquillement, au téléphone ? Je me suis rué vers les toilettes. D'abord dignement, puis, n'y tenant plus, en pressant le pas. Je ne me suis pas retourné. Déjà, j'entendais les portes s'ouvrir et le bla-bla des collègues déblatérant.

Dix minutes plus tard, sur le quai du RER, je n'en reviens toujours pas. Le sourire béat, j'ai dans la main le graal de mes années d'adolescent frustré : le portable de Julie Gayet. Et surtout, ma vessie est vide. Le portable ? Je n'ai jamais osé m'en servir, je ne supporterais pas qu'elle mette fin à mes rêves en raccrochant sans avoir entendu à quel point elle a compté pour moi. Peut-être dans dix ans, pour notre trentième anniversaire ?

Rédigé par Rafale

Publié dans #Médias, #Cinéma

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